Octobre 2020 à Juin 2021
Après une thèse en sociologie des relations internationales soutenue à Sciences Po Paris en 2006, Isabelle Bruno a été recrutée l'année suivante comme maîtresse de conférences en science politique à l’Université de Lille et a rejoint le Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (CERAPS, UMR CNRS-UdL). Après avoir étudié la pratique du benchmarking comme technique de coordination intergouvernementale au sein de l’Union européenne, elle a entrepris de retracer sa généalogie à la faveur d’un séjour à Cornell University (2010) puis a élargi ses travaux à la sociologie de la quantification et aux usages militants des statistiques (« statactivisme »). Depuis 2014, elle a ouvert un nouveau cycle de recherche sur les inégalités socio-spatiales et socio-environnementales, qu’elle aborde à travers l’étude des conflits d’appropriation des rivages. Après une première recherche avec le sociologue Grégory Salle sur la baie de Pampelonne dans la presqu’île de Saint-Tropez, elle a été invitée à UC Berkeley pour mener une enquête sur les politiques californiennes d’accès public au littoral, financée par une bourse Fulbright (2017). C’est à cette occasion qu’elle a découvert « l’affaire Martin’s Beach », à laquelle elle consacre son mémoire inédit d’HDR en cours de rédaction.
Quand la mer monte, à qui appartiennent les plages ? Sociologie comparée des conflits d'appropriation et des politiques d'aménagement des plages
Du Pérou à l’Australie, de l’Afrique du Sud à la Caroline du Nord, en passant par le Brésil ou le Liban, les conflits d’appropriation des plages se multiplient ces deux dernières décennies. Selon des configurations variables, sont à chaque fois en cause les conditions sociales d’accès au rivage, c’est-à-dire l’écart entre le principe du libre accès à un espace public supposé ouvert à tous et la réalité des barrières matérielles et symboliques qui le constitue en une propriété exclusive. Or cette tension tend à s’accentuer sous l’effet d’une double pression. D’une part, un afflux démographique croissant vers le littoral à l’échelle mondiale, dont les indicateurs disponibles s’accordent à montrer qu’il est amené à s’intensifier. D’autre part une érosion côtière dont l’aggravation, sous l’effet conjugué de l’exploitation économique et du réchauffement climatique, provoque le rétrécissement voire la disparition des plages sablonneuses. La raréfaction physique de ces espaces déjà très convoités ne fait qu’exacerber la concurrence sociale pour les occuper, les exploiter, voire les posséder.
Dans ce contexte, cette recherche interroge la multiplicité des conflits d’appropriation des plages pour saisir leurs effets sur les régimes de propriété du littoral. En examinant l’hypothèse d’un mouvement contemporain d’enclosure limitant le droit d’accès au rivage, elle explore non seulement les manifestations matérielles et symboliques d’un processus global d’accaparement privatif des plages, mais aussi la conflictualité sociale qui en découle et, à travers elle, les enjeux de mémoire et d’identité associés au territoire côtier. Elle se propose ainsi d’apporter un nouvel éclairage sur les rapports entre formes propriétaires, accès aux espaces naturels vulnérables et inégalités socio-spatiales.