À partir des fondements solides et un format de direction innovant et renouvelé, l’Institut d'études avancées de Nantes célèbre cette année ses 15 ans de fondation. Il s’agit d’un moment privilégié pour articuler de manière simple les bases d’un nouveau projet scientifique.
Par Luis Mora Rodriguez,
en collaboration avec Pierre-Etienne Kenfack et Sophie Halart
mai 2024
Fidèle à sa réputation d’excellence, l’Institut s’est intéressé historiquement aux fondements des sociétés et à la possibilité d’interroger et de dialoguer autour de ces fondements. Au cœur du dialogue se trouve en priorité l’écoute et la discussion avec des chercheurs venus de tous les horizons disciplinaires, de toutes les parties du monde et notamment des Suds.
L’Institut est donc un espace de liberté académique et de pollinisation des savoirs, ce qui lui a permis en tant qu’organisme de se transformer, en ouvrant ses perspectives scientifiques vers de nouveaux défis épistémologiques, politiques et sociétaux.
L’Institut conserve dans sa dynamique l’engagement vers un dialogue fécond entre chercheurs/ses des Suds et chercheurs/ses du « Nord » global. Cet engagement fait de l’Institut, un endroit unique en Europe, qui bénéficie également du contexte d’ouverture et de l’histoire de la ville de Nantes, comme plateforme pour l’échange et le croisement des perspectives sur le monde.
L'écoumène, au coeur du projet scientifique de l'Institut
Dans son processus d’évolution, et fidèle à sa mission, l’Institut construit son nouveau projet scientifique autour de la notion d’écoumène, telle qu’elle a été développée dans la pensée d’Augustin Berque. Ce choix découle de ce que les inquiétudes qui pèsent sur l’avenir de la planète nous concernent tous, et doivent être comprises à l’intérieur des rapports historiques et subjectifs que les humains ont, ou établissent, avec le monde.
Le « milieu » doit être compris comme réalité concrète, c’est à dire cette réalité qui apparaît pour l’être concerné. Cette perspective rompt avec l’idée que le milieu est un abstraction universelle qui serait la substance intrinsèque de « l’environnement ».
Elle postule que la modernité occidentale a produit une césure majeure entre deux échelles spatio-temporelles : le temps vécu qui a comme mesure l’expérience du corps, et le monde objectif où espace et temps peuvent être mesurés sans cesse et dont les dimensions échappent à l’expérience humaine. Un monde infini, sans limites.
C’est pourquoi l’écoumène est pensé comme une réalité qui ne peut pas s’épuiser ni se limiter aux termes objectifs et universels de l'écologie, ni aux termes phénoménologiques, particuliers et subjectifs de certaines cultures. Le « milieu » décrit les relations qu’établit une culture avec le monde ambiant qui lui donne son assise et son sens.
Il faut prendre en compte l’histoire du groupe humain qui occupe un espace qui opère comme un ensemble de relations. Ces relations se tissent avec les ressources, les contraintes et les risques liées à la présence humaine. Comprendre et gérer ces relations permet l’habitabilité de la terre, mais également, le lien social entre les humains, car ce lien se défait lorsque l’environnement n’a plus de sens.
Prendre en compte le « milieu » n'est plus une préoccupation exclusivement de l’écologie et devient une question ontologique, géographique, et juridico-politique : géographique » dans le sens où la géographie comme écriture (grapphê) humaine de la Terre (Gê) est également « écriture terrestre de l’humain » (Berque) ; juridico-politique car elle invite à repenser et à les réorganiser les rapports des personnes humaines à la nature.
Les questionnements portés par l'Institut d'études avancées de Nantes sont au cœur de ces problématiques car il s'agit d'habiter et de penser autrement le monde.
Préoccupations épistémologiques
Cette perspective nouvelle peut être alors déclinée dans une série de préoccupations épistémologiques qui sont en lien avec elle.
La question de l’écoumène porte en elle la réflexion sur les relations avec les dimensions autres qu’humaines du monde. Ces dimensions qui apparaissent dans la civilisation moderne occidentale comme des objets au service de l’humain possèdent une autre épaisseur dans la perspective écouménale. Il s’agit d’acteurs qui sont en rapport avec l’habitabilité du monde et qui déterminent, également, cette habitabilité.
Dans ce sens, la perspective écouménale implique de se laisser interroger par les formes de notre habiter (architecture, urbanisme, occupation de l’espace), mais aussi et surtout par les cadres de pensée qui organisent, gèrent et définissent ces formes. Ainsi, l’interrogation sur les éléments qui constituent et marquent l’expérience de la modernité occidentale continue d’être fondamentale, mais également, la réflexion sur l’engrenage néolibéral de cette contemporanéité.
En effet, si les interrogations sur notre façon d’habiter le monde sont en rapport avec nos formes d’occupation, d’appropriation, la réflexion sur l’hégémonie d’un ethos néolibéral qui envahit tous les domaines de la vie, semble, aujourd’hui, plus que nécessaire. Ainsi, en tant qu’espace de réflexion et de liberté, l’Institut s’interroge sur ce qui est « commun » et ce qui échappe – ou doit échapper – à la logique d’appropriation et de privatisation qui marque le temps présent. Les « commons », entendus dans leur dimension réfractaire, correspondent, en ce sens, également à ces formes d’habiter et de production de savoirs propres aux milieux.
Les « commons » comme axe structurant
L’Institut choisit de travailler trois grandes lignes conceptuelles autour de la notion de « commons ».
Il s’agit d’abord de sa dimension de lien, qui permet d’approcher les formes de vie et de communauté. Cette approche, qui semble porter vers une anthropologie du commun s’intéresse aux formes alternatives de vie mises en place par des communautés particulières, qui permettent d’échapper ou de contourner les logiques de marchandisation de la vie, des logiques rendues particulièrement tentaculaires de par la mondialisation.
En deuxième lieu et en rapport avec l’axe historique de l’Institut, c’est la dimension de re-institutionnalisation politique et économique que la notion de « commons » permet. En effet, le mot « commons » peut être compris comme une pratique instituante, qui a besoin d’usages de rapports et de règles pour sa reproduction.
Enfin, une troisième approche voit le « commons » comme dynamique démocratique et démocratisante, à partir d’actions égalitaires qui interviennent dans le tissu social. Cette dernière approche voit le « commons » comme une rationalité autre et comme un principe de démocratisation.