Master Class #1 de la chaire Habiter au prisme des limites planétaires

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Le 10 décembre dans les locaux de l'ENSA Nantes, s'est déroulée la première Master Class de la chaire Habiter au prisme des limites planétaires. Plus de 70 participants issus des mondes des politiques publiques, de l'aménagement, de l'urbanisme ou de l'entreprise ont pu participer à un atelier d'initiation aux protocoles de Redirection Ecologique. Retour avec Diego Landivar, résident à l'Institut et titulaire de la chaire et concepteur de cet atelier.

 

Comment s'est déroulé ce premier évènement ?

Ce fut un moment riche avec un format expérimental. Nous sommes très heureux qu'autant de personnes aient pu participer depuis des mondes professionnels aussi hétérogènes. Nous avions fait le pari d'un évènement assez long, donc risqué, permettant d'aller plus loin qu'une simple présentation de la Redirection Ecologique.

Master Class #1

En quoi a consisté ce "protocole de Redirection", comment pourriez vous le définir ?

Pour cet évènement j'ai décidé de concevoir un atelier qui retrace, sous une forme grand public, toutes les étapes qui permettent à un collectif (une organisation, une collectivité territoriale, une association ou une entreprise) de pouvoir se familiariser avec ce qu'on appelle un protocole de Redirection. D'abord nous avons travaillé avec les partenaires de la chaire pour choisir les sujets qui allaient être travaillés par les participants. Dans la redirection écologique j'insiste sur le fait qu'il faut privilégier de travailler sur des entités très concrètes, au périmètre bien défini : une infrastructure, un équipement, une zone d'activité, un projet d'urbanisme spécifique. L'écologie politique ne peut se limiter à dresser de grands diagnostics globaux qui parfois ont du mal à atterrir sur ces prises politiques ou gestionnaires concrètes. Nous avons travaillé sur un musée, un tramway, une zone commerciale, une zone d'immobilier tertiaire, une zone pavillonnaire ou encore une station balnéaire. Une fois le sujet défini, les participants vont travailler sur des planches qui à chaque fois révèlent pourquoi telle ou telle infrastructure, équipement ou activité est confrontée à des situations écologiques et sociales critiques. D'abord les participants apprennent à "disséquer" une entité pour révéler toute sa matérialité écologique : dépendances matérielles, extractives, minières, écologiques mais aussi logistiques. Ils sont invités aussi à identifier dans quelle mesure différents évènements futurs (raréfaction des ressources, effondrements écologiques, tensions géopolitiques ou crises sanitaires) pourraient venir compromettre leur existence. Une seconde séquence initie ensuite les participants à un point central des méthodes de redirection qu'est l'enquête sociologique et anthropologique pour révéler les attachements et dépendances sociales, professionnelles ou économiques, voire symboliques, qui lient la société à ces infrastructures ou équipements. Cette séquence est importante pour deux raisons : la première est qu'elle réinsère des sciences humaines dans les débats écologiques qui parfois sont dominés par des réflexes purement ingenieuriaux ou techniques. La seconde est liée au fait que cette étape permet de repolitiser la question de la transition : si nous devons faire des arbitrages forts pour le climat ou l'habitabilité et que nous ignorons en quoi les acteurs sont dépendants aujourd'hui à ces équipements ou infrastructures, nous avons toutes les chances de faire échouer n'importe quelle politique de transition. Enfin, le protocole permet de distinguer ce qui est un attachement "sacré" (un attachement à la fois très partagé et très intensif), un attachement à réaffecter (un attachement très partagé mais moins intensif), un attachement à renoncer car, soit il ne correspond pas à un besoin social, démocratique, légitime, fondé, essentiel ou vital ; soit il ne peut plus être garanti face aux vulnérabilités écologiques, matérielles ou sanitaires futurs. Le protocole débouche donc sur un art de l'arbitrage entre ce que l'on décide de sublimer, chérir, souvent ce qui compose la raison d'être sociale et politique profonde d'un équipement ou d'un projet d'urbanisme ; ce qu'on décide de maintenir car les attachements sociaux sont trop lourds et pourraient menacer l'habitabilité critique des personnes ; et enfin ce à que nous choisissons de renoncer collectivement et après une enquête précise des deux premières séquences.

Les acteurs ont ils abouti à des réflexions à la hauteur de ce que préconise la Redirection ?

La Redirection ne préconise pas de choses ou des arbitrages de manière adhoc. La redirection stipule que les politiques uniquement basées sur le "solutionnisme technologique" ou les adaptations écologiques marginales ne suffiront pas, mais qu'il n'y a pas de recettes miraculeuses. Il faut donc mobiliser un protocole d'enquête collective afin de décider des arbitrages à la hauteur des enjeux climatiques et écologiques. Un collectif peut décider de tout conserver mais dans ce cas il assume que la transition ne se fera pas ou qu'elle se fera uniquement "chez les autres". Au final tous les groupes de travail ont abouti à des scénarios de redirection où des renoncements à des échelles, des volumes, des usages ont été actés. Mais ce qui est encore plus intéressant c'est que de nombreux participants ont compris que la Redirection est un protocole d'enquête qui nous permet de renouer avec une question simple aujourd'hui oubliée ou écrasée par l'euphorie moderniste qui consiste à empiler les projets les uns sur les autres. Une question  pourtant tellement déterminante pour notre avenir : a quoi et à qui sert le projet (d'urbanisme, architecture, aménagement, de développement) que je porte ? ce projet a t-il un avenir ou est-il déjà obsolète ?

Master Class #1

Pour aller plus loin :

Bonnet, E., & Landivar, D. (2024). Les organisations sentinelles: penser le devenir stratégique des organisations dans l’Anthropocène. Revue française de gestion, (2), 125-142.

Landivar, D. (2022). Comment fermer une parenthèse moderne. Multitudes, 89(4), 200-203.

Renoncer aux futurs obsolètes ? https://usbeketrica.com/fr/article/il-faut-renoncer-aux-futurs-deja-obsoletes