IEA, Nantes 30 avril 2039
Marc CHOPPLET
Il y a, dans toute forme de prospective, une promesse et un pari.
Il pleut sur Nantes ce 30 avril 2039 et les eaux de l’Erdre se mêlent à celles de la Loire dans un mouvement continu aux infimes variations de mousses s’effilochant dans le courant. Le fleuve est un peu bas. Effet visible du réchauffement climatique que l’on enregistre depuis plusieurs décennies et que l’on semble bien incapable de contenir. Il invite depuis longtemps à changer notre rapport au monde, individuel et collectif. Presque en vain. Le grondement lointain de l’écluse et l’écoulement de ces eaux où l’on ne peut se baigner, font un étrange contraste et une étrange osmose avec ce lieu-carrefour où l’on s’arrête, réside, habite, interroge et écoute, immobile, les questionnements du tout-monde et ses fracas.
Ouverts, fluides et frémissants certains écoumènes sont ainsi chargés d’espace, de temps et d’espoirs. Les siècles, les civilisations, les connaissances, croyances et représentations s’y arrêtent un instant, s’y mêlent et repartent. Redressant les géométries déterministes du monde, elles explorent d’autres réalités, historiques, imaginaires ou présentes, d’autres échanges et d’autres paroles pour comprendre l’actuel et inventer l’agir de demain. L’art, la création, la réflexion y ont toute leur place ; transcriptions et traductions permanentes s’opposant aux armes et à la violence.
Dans cette ville qui s’enrichit jadis des fers de l’esclavage, l’Institut d’Études Avancées de Nantes porte haut et fort la certitude qu’il n’y a d’avenir que par le partage de travaux de recherche, de points de vue et de connaissances. Depuis trente ans ce lieu vit et vibre au rythme du fleuve, de la rencontre des eaux, de la proximité de la mer, de l’écoute d’autres espaces et d’autres préoccupations, de la circulation des idées, de la curiosité et de l’expression des différences.
Il y a quatre siècles, le 30 avril 1639 René Descartes écrivait à son ami le Père Marin Mersenne qu’il venait de recevoir le livre sur « la perspective curieuse » du jeune Jean-François Niceron, mathématicien, géomètre et passionné d’optique. Si celui-ci saluait « Monfieur des Cartes » et sa dioptrique, c’était à côté des noms de Galilée et Kepler. Ce qui était en jeu, c’était un autre regard sur les sciences et la nature, ouvrant de nouvelles perspectives.
Avec d’autres ambitions, et notamment de penser un autre rapport au monde, aux autres et à la biosphère, c’est l’objet même de l’Institut d’ouvrir de nouvelles perspectives en sciences humaines et sociales, juridiques, culturelles ou éthiques. Ce furent ses ambitions à l’origine et elles demeurent. Les mouvements de bascule des dynamiques humaines qu’il anticipe de longue date, n’y changent rien. S’ils devaient bouleverser son avenir, son rôle pionnier n’en serait nullement altéré.
On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Puisse cette Thélème humaniste perdurer.