Habiter le monde autrement
Annie Montaut
« Habiter le monde autrement », que voilà un maître-mot, deux maître-mots voire trois – merci à notre collègue et fellow Danouta Bagnoud pour son magnifique ouvrage sur l’habiter la terre, merci à Alain Supiot, fondateur de l’idée même de cet IEA si spécial, pour avoir si clairement formulé la distinction entre le monde et le global. Et « autrement ». Mot fabuleux. Qui donna dès 1975 – fin des 30 glorieuses – son nom à une maison d’édition. Alors même qu’aujourd’hui encore tant d’autrements se sont autrement déclinés, tant d’alter - alternativement conjugués, tant de différences différemment pensées qu’on en vient à se demander si on pourrait pas plutôt envisager « pareil », histoire de faire autrement. Pareil que dans les sociétés matriarcales néo- ou prénéolithiques, égalitaires et pacifistes – à quelques ajustements près pour les maniaques du confort. Ou ce qu’on s’est habitué à considérer comme ça. Ou bien pareil que nos ancêtres pas si lointains qui du temps de l’enfance de Péguy travaillaient et chantaient en travaillant, de la joie de faire pousser des plantes ou de fabriquer des objets utiles à tous et faire ça ensemble dans un commun travail, avant qu’arrive le règne absolu de l’Argent[1], à quelques ajustements près pour les maniaques du wokisme -- eh oui il était catho, mâle, blanc. Ou encore pareil que les réfractaires d’aujourd’hui dans tous les pays puisque tous assujettis au Marché, à quelques ajustements près pour les maniaques de la légalité – eh oui, Gandhi et Thoreau n’avaient pas attendu les faucheurs volontaires pour dire que le légitime ne cadre pas toujours avec le légal.
L’autrement les autrements les autrement-autres ont beaucoup décliné dans tous leurs cas conjugué à tous les temps les temporalités distinctives, on pourrait peut-être, histoire de faire autrement, penser aux intemporalités. Enfin du point de vue des humains : à ce qu’ils ont toujours eu sous les pieds, en tous temps en tous lieux. La terre, donc, sous nos pieds. Qui est de ces intemporalités : elle continue envers et contre tout ce qu’on la tourmente à avoir ses saisons, à tourner autour du soleil, à érupter de temps en temps. Continue et continuera après nous : avant après, du pareil au même. La terre sous nos pieds, mais aussi devant nos yeux voire sur nos têtes, avec l’ombre de ses arbres. Et surtout dans nos corps qu’elle nourrit toujours généreusement. Enfin encore, même si les bipèdes debout ont très énormément exagéré. Est-ce qu’on ne serait pas bien inspiré de l’accueillir aussi dans nos âmes, dans ce qu’il en reste ? Puisque c’est d’elle que nous venons et que nous dépendons et pas l’inverse. De renouer le lien qu’ont su avoir à elle certaines civilisations (disparues) et qu’ont encore certains peuples (isolés), certains groupuscules (menacés).
[1] Il faut relire ou lire le superbe pamphlet de Charles Péguy en 1913, un an avant que la « grande guerre » mette fin à sa carrière et à sa vie, l’Argent.