Le déplacement en tant que valence créative : réflexions après un " effet de distanciation ".
Renata Summa
Notre configuration politique contemporaine, le système moderne des États-nations, repose sur une forme d'appartenance essentiellement nationale.
C'est principalement en tant que " nationaux " et que " citoyens " que nous jouissons de droits politiques et que nous sommes reconnus comme sujets. C'est un système politique qui fait de nous d'abord des citoyens, puis des humains - même si les conventions nationales et internationales promeuvent des dispositions plus englobantes fondées sur l'idée des droits de l'homme. Notre forme moderne d'habiter le monde est donc - ou du moins est vouée à être - d'abord nationale.
Dans un tel ordre mondial, les frontières de l'État sont censées non seulement contenir la nation, mais aussi différencier les expériences de mobilité et de déplacement. Ainsi, il existe différentes catégories pour englober le mouvement humain (forcé ou choisi) : migrant (interne), personne déplacée à l'intérieur de son pays, réfugié, expatrié, exilé, nomade, voyageur, etc. En matière de politique internationale, ce sont surtout les mouvements transfrontaliers qui sont considérés comme un sujet de préoccupation, de gestion et de réglementation. Nous identifions ici différents degrés d'acceptation et de facilité à franchir les frontières, différents droits et dispositions légales produisant les figures de l'expatrié, du migrant hautement qualifié, du migrant peu qualifié, du réfugié, du sans-papier.
Ces diverses catégories nous aident à comprendre que la mobilité en soi n'est pas un problème dans notre système d'États-nations. C'est, comme on l'a dit, un domaine de gestion et de régulation, mais tout le monde n'est pas soumis aux mêmes règles. Les frontières filtrent et hiérarchisent. Elles constituent une politique de l'espace - qui a le droit d'être où et dans quelles conditions - et une politique du temps - à quel rythme vous pouvez entrer et à quelle vitesse, ou à quelle vitesse vous serez finalement autorisé à entrer, combien d'années de votre vie devront être passées dans un statut précaire avant que des droits ne vous soient accordés.
Dans ce contexte, le déplacement est compris de manière négative : le terme évoque l'image d'une personne déplacée dont la vie a été bouleversée et qui a été contrainte à l'exil, qui est toujours attachée à son pays d'origine, à ses coutumes et à ses souvenirs et qui, par conséquent, a du mal à s'adapter à son nouveau lieu de résidence (Summa, 2021).
Cependant, le déplacement peut aussi être productif dans le sens où il permet la critique par la réorientation et le recadrage de son monde sensible (Shapiro, 2013). Cela provoque l' " effet de distanciation ", tel que proposé par le dramaturge allemand Bertolt Brecht en 1964 (2005). Il consiste à prendre de la distance par rapport à ce qui est familier et à le regarder comme s'il s'agissait de quelque chose d'inhabituel, afin de l'amener au-delà du domaine de l'évidence (Brecht 1964 (2005)). Ces mécanismes sont familiers aux personnes en mouvement.
Mon Fellowship à l'Institut d'études avancées de Nantes a été marqué par l'effet d'éloignement. Déplacée de mon pays d'origine, de ma langue maternelle et de ma zone de confort disciplinaire, j'ai fait l'expérience d'un recadrage de mon monde sensible et de l'émergence de nouvelles formes de solidarité qui transcendent les nationalités, le genre, les étages et les intérêts académiques. Le déplacement, dans ce cas, a fourni une autre façon de voir, d'être et d'habiter le monde.
Références
- Brecht, B. Estudos sobre o Teatro. Rio de Janeiro : Nova Fronteira, 2005.
- Shapiro, M. J. (2013). Go west, go east : War's exilic subjects. Security Dialogue, 44(4), 315-329. https://doi.org/10.1177/0967010613492839
- Summa, R. (2021) Boundaries, Borders and Post Conflict Societies. Londres : Palgrave.
