#15 ans de l'Institut - Mor Ndao : Manger et boire en Sénégambie dans la durée : perspectives historiques

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Dans le cadre de la célébration des 15 ans de l'Institut, un appel à contributions a été soumis à tou.tes les ancien.nes Fellows et membres du Conseil Scientifique. Une simple demande, produire un court texte sur un des thèmes suivants :

  • Variation autour de « Habiter le monde autrement »
  • Imaginaire : que sera devenu l’Institut d’études avancées de Nantes dans 15 ans ?

Voici leurs réponses !

Ciel de Nantes

Manger et boire en Sénégambie dans la durée : perspectives historiques

Mor Ndao

          Il est admis que les problèmes alimentaires et nutritionnels sont, dans les faits, la résultante d’une situation complexe sur laquelle interagissent plusieurs facteurs : aléas climatiques, habitudes alimentaires, considérations socio culturelles, problèmes sanitaires, niveaux de vie. 

J.P Aron en donne une parfaite illustration en écrivant : « Fait de culture, l’alimentation est solidairement une donnée biologique. Par suite l’analyse médico-physiologiste se dessine à ses débuts sur l’horizon complexe d’un fonds commun où les phénomènes chimiques de la digestion côtoient non seulement les recettes culinaires et les rêveries gastronomiques, mais aussi les observations morales ou moralisantes »[1]. D’une manière générale, l’alimentation traditionnelle, fonction des ressources, met en évidence, même si elle ne réalise pas toujours la totalité des besoins, une adaptation au milieu.

L’analyse des conditions générales de l’alimentation dans l’espace sénégambien indique la prédominance d’un régime alimentaire dominé par les céréales et des fluctuations de rythmes saisonniers faisant alterner des périodes d’abondance auxquelles succèdent des moments de pénuries et de soudure marqués par des carences vitaminiques saisonnières.

        La situation alimentaire et nutritionnelle est assujettie à un cycle annuel et des variations saisonnières marquées par une grande faiblesse de la couverture énergétique durant la saison des pluies. D’ailleurs les consommations alimentaires connaissent leur niveau d’étiage au milieu de l’hivernage (août et septembre). Ce phénomène, plus accentué en zone rurale qu’en milieu urbain, expose davantage les jeunes enfants, cibles privilégiées de la malnutrition.

       La mise en place des structures de dépendance sous la colonisation avec l’introduction des cultures de rente, notamment l’arachide, inéluctablement, occasionna des dysfonctionnements dans le système alimentaire local. En effet, l’espace économique sénégalais, à partir du XIXe siècle fut grandement modelé, voire défini par le système colonial (Mbodj M., 1992, p.97). En effet, « la France avait unifié alors dans un ensemble territorial dénommé Sénégal, notamment, des régions naturelles et des espaces politiques traditionnels qui avaient déjà entre eux des similarités et qui, surtout, entretinrent des relations économiques plus ou moins suivies » (Mbodj M, 1992, p. 97).

         La suppression de la traite négrière fut suivie par la mise en place d’une politique de « mise en valeur » agricole fondée sur les cultures de rente (indigo-coton et surtout arachide). Après l’échec de l’expérience de la colonisation agricole (1817-1833) dans le delta du Sénégal (Bathily A., 1991, p.60), le régime colonial accorda une importance capitale à la production arachidière à la haute vallée. L’extension et le déplacement du bassin arachidier à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, la monétarisation de l’économie, la fiscalité imposée par l’administration coloniale obligèrent les agriculteurs à se lancer à la culture arachidière (Ndao M., 2015, p. 51).

        Partant de ce constat, cette étude tente de répondre aux questions suivantes : Par quels mécanismes le système colonial, grâce à la culture arachidière, est-il passé pour mettre progressivement le Sénégal dans le processus de dépendance alimentaire ? Quels sont les changements de goûts et comportements alimentaires ? Quel est le poids de l’extérieur dans l’émergence de nouveaux régimes alimentaires ? 

 

 

Amin, S. (1971). L’Afrique de L’Ouest bloquée. L’économie politique de la colonisation 1880-1970, Paris, édit. De minuit, 324p.

Bathily, A. (1991). « Evolution économique et transformations des habitudes alimentaires en Afrique» in Les changements des habitudes et des politiques alimentaires en Afrique : Aspect des sciences humaines, naturelle et sociales, sous la direction de Igor de Garine, éditions Publisud, Paris, 278p. pp 55-62.

Bergouniou J-L. (1951) «Malnutrition et sous nutrition à Kaolack et Fatick (Sénégal).Nourrissons et jeunes enfants de Zéro à 4 ans »in Bulletin Médical de l’A0F, T.VIII, pp.213-214.

Claudian J. (1954). « L’évolution de l’alimentation humaine » in Manuel élémentaire d’alimentation humaine : bases biochimiques, physiologiques et psychologiques de l’alimentation T.1, sous la direction de Trémoliéres J., Serville Y., Jacquot R., éd. Sociales françaises, 263 p.

Fatemeh Y.E. (2003). « Les problèmes alimentaires dans la région Soudano-sahélienne de l’Afrique Occidentale, les cas du Burkina Faso, du Mali, du Niger et du Sénégal », Thèse de Doctorat d’Etat de Géographie, Univ. Michel de Montaigne Bordeaux III, 407p.

Lombard J. (1993). Riz des villes, mil des champs en pays sérère-Sénégal, CEG ET, Collection Espaces tropicaux, n°6, Talence, 228 p.

Manga I. (2011). L’administration coloniale et la lutte contre la malnutrition au Sénégal : le cas de l’O.R.A.N.A. (1952 c .a .1966), Mémoire de Maîtrise d’histoire, Université Cheikh Anta Diop de Dakar,153p.

Mbodj M. (1975). « Le Sine Saloum de 1914 à 1929 : le développement de l’arachide et mutations sociales » Mémoire de Maitrise d’histoire, Université de Dakar, 218 p.

Ndao M. (2015). L’alimentation et la Santé des enfants dans le Sénégal colonial ,1905- c.a. 1960, L’harmattan, Sénégal, 2015,483 p.

Ndao M., « La malnutrition infantile : le cas du Sénégal 1930 – 1960 », in, Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Dakar FLSH, no 34, 2005, pp. 107 – 128.

Palmeri P. (1995). Retour dans un village Diola de Casamance, chronique d’une recherche anthropologique au Sénégal, Paris, l’harmattan, Connaissance des hommes,398 p.

Pélissier P. (1966). Les paysans du Sénégal-Les civilisations agraires du Cayor à la

Casamance-Saint-Yriéis,941p

Raoult, A. (1957). Répartition géographique et incidence du Kwashiorkor en AOF, Dkr, ORANA, C.4, 16p.

Savané M. A. (1992). Population et gouvernements face aux problèmes alimentaires :

regards sur des zones de l’Afrique de l’Ouest, éditions Genève, UNRISD, 389 p


 


[1].       Aron (J.P) 1961, « Biologie et alimentation au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle » in Annales No 3 mai juin1961. Enquêtes ouverts, Bulletin No 1 ; pp 971-976 ; p. 971

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