#15 ans de l'Institut - Adrian Macey : L'Institut a quinze ans. De "penser le monde autrement" à "habiter le monde autrement"

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Dans le cadre de la célébration des 15 ans de l'Institut, un appel à contributions a été soumis à tou.tes les ancien.nes Fellows et membres du Conseil Scientifique. Une simple demande, produire un court texte sur un des thèmes suivants :

  • Variation autour de « Habiter le monde autrement »
  • Imaginaire : que sera devenu l’Institut d’études avancées de Nantes dans 15 ans ?

Voici leurs réponses !

Loire6

L'Institut a quinze ans : de " penser le monde autrement " à " habiter le monde autrement "

Adrian Macey

Janvier 2019 a été une période passionnante pour rejoindre l'Institut en tant que Fellow, et ce fut un immense privilège pour moi, venant d'une carrière dans la diplomatie, de profiter d'une année pendant laquelle, sans être encombré par des responsabilités officielles, j'ai pu développer ma réflexion autour d'un sujet que j'avais voulu poursuivre, mais que je n'avais jamais eu le temps d'étudier.

En 2019, la vision du directeur fondateur Alain Supiot s'est concrétisée, l'Institut ayant déjà acquis une solide réputation en France et à l'étranger, capable d'attirer des chercheurs et des artistes de renommée mondiale. En tant que lieu d'étude et de réflexion, l'Institut était idéal. La grande diversité académique, géographique et culturelle des Fellows a créé un environnement stimulant pour la poursuite de projets personnels pendant trois, six ou neuf mois, tout en bénéficiant de la collégialité et de l'enrichissement mutuel qui en résultent. Les conditions de travail et de vie dans les locaux de l'Institut sur les rives de la Loire étaient confortables, les meilleures que j'ai connues dans ma carrière. Il y avait un juste équilibre entre le temps d'étude individuel, la discussion et la réflexion collectives et les activités qui nous rassemblaient.

Nantes, ville culturellement et économiquement ouverte sur le monde, était l'hôte idéal pour un institut dont la vocation est d'accueillir des chercheurs de tous les continents. La capacité d'attirer autant de chercheurs de haut niveau du monde entier reposait donc sur la ville ainsi que sur la qualité académique de l'Institut. De nombreux Fellows, anciens et courants, sont revenus à l'Institut de temps à autre pour présenter leurs travaux et échanger avec la communauté locale.

Le dixième anniversaire a rassemblé les résidents de ces premières années lors d'une série d'événements - où le leitmotiv « penser le monde autrement » s'est bien reflété.

Mais 2019 a également été l'année des gilets jaunes à Nantes - des manifestations hebdomadaires qui se terminaient généralement par des jets de gaz lacrymogène et la destruction des façades des entreprises considérées comme les plus symboliques des excès du capitalisme.  Ce phénomène social - l'agitation et le mécontentement - ne pouvait pas mieux contraster avec l'atmosphère de l'Institut et le confort de notre vie et de notre travail. On se rend compte que les Fellows sont à l'abri des dures réalités qui affectent une partie de la société française. Pour certains des gilets jaunes, la vie était précaire ; ils étaient confrontés à une crise du coût de la vie, avaient du mal à trouver un emploi décent et exprimaient une profonde désaffection à l'égard des élites au pouvoir.  Ce phénomène ne s'est évidemment pas limité à la France et a coïncidé avec la montée des populismes.

Lorsqu'il m'a été demandé d'apporter un commentaire sur les réseaux sociaux de l'Institut, c'est ce contraste entre deux mondes que j'ai choisi de mettre en avant. J'ai pensé qu'il valait la peine d'y réfléchir et je me suis demandé comment la communauté de l'Institut pouvait combler le fossé entre le domaine des études et de la recherche avancées et les problèmes sociaux qui semblent insolubles.

Heureusement, l'Institut n'est pas une organisation qui a l'habitude de formuler des utopies. L'un des aspects les plus gratifiants de cette période a été l'ouverture sur la société dans son ensemble, souvent de manière très concrète. Les boursiers de l'Institut ont participé à de nombreuses activités qui ont permis de mieux faire connaître l'institut et de la rendre plus pertinente au-delà du monde universitaire.  Les activités conjointes impliquant le secteur des affaires ont été particulièrement stimulantes. Il était agréable de constater que le secteur privé estimait que nous avions quelque chose à apporter, notamment en réfléchissant à certains des défis sociétaux auxquels il était confronté. La diversité culturelle des boursiers a été mise à profit, par exemple en conseillant une grande entreprise manufacturière locale sur la meilleure façon d'intégrer dans la main-d'œuvre des étrangers qui ne sont pas familiers avec la société française.  Il y a également eu beaucoup d'interactions avec les organisations non gouvernementales locales et avec les autorités municipales et régionales. Ces groupes ont accueilli favorablement les possibilités de dialogue avec les boursiers, dans notre intérêt mutuel.

La reconnaissance de ce rayonnement se manifeste par le parrainage supplémentaire et plus large que l'Institut a attiré ces dernières années.

Lors des célébrations des dix premières années, personne n'aurait pu prévoir que moins d'un an plus tard, le Covid allait frapper. Ce phénomène a brisé la tranquillité de l'Institut, créant d'énormes inconvénients pour les Fellows et le personnel, avec de sévères restrictions sur la collégialité qui faisait partie intégrante de la vie et du travail des Fellows.  Soudain, les Fellows n'étaient plus isolés et distincts des préoccupations de la société dans son ensemble - ils les partageaient.

Nous vivons toujours avec les conséquences économiques et sociales du Covid. Sous la double pression des difficultés économiques et de la désaffection persistante du public à l'égard des élites, de nombreux gouvernements reviennent sur leurs engagements concernant des problèmes mondiaux tels que le changement climatique, la transition vers des énergies propres et la biodiversité, dont dépend le bien-être des générations futures. Les tensions géopolitiques et les conflits armés se multiplient, exigeant davantage des dirigeants et des économies déjà affaiblies.

C'est le monde dans lequel nous risquons de vivre pendant une décennie. Mais cette perspective ne doit pas nous mener  à subir la situation par fatalisme. Nous maltraitons notre planète et ceux qui l'habitent. Quoi de plus pertinent que d'exploiter les atouts de l'Institut pour mieux vivre dans ce monde ?

Rappelons que l'IEA n'est pas seulement un institut sur les bords de la Loire. C'est une communauté mondiale, pluridisciplinaire, qui ne cesse de croître. Elle est de plus en plus ancrée dans la société. Ses réseaux s'étendent. Il y a des boursiers de l'Institut dans les institutions les plus prestigieuses du monde. Un souhait pour l'avenir est que nous cherchions de nouvelles façons d'exploiter tous ces talents et cette collégialité. Si tel est le cas, le voyage que l'Institut entreprendra au cours des quinze prochaines années pourrait bien contribuer à habiter le monde autrement.

Adrian MACEY